Cancer | un carrefour de défis

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Par Marika Audet-Lapointe – 1er décembre 2013

L’annonce d’un cancer pour soi ou pour un proche constitue toujours un défi. L’auteure évoque les différents contextes dans lesquels un diagnostic de cancer survient mais, particulièrement, elle nous convoque à une « métamorphose » de la représentation sociale du cancer.

 

Le cancer nous concerne tous

Actuellement au Québec, une personne sur deux est à risque de développer un cancer au cours de sa vie. Or, lorsque le cancer se présente, ce n’est pas uniquement la personne concernée qui se retrouve au cœur d’un défi important. C’est aussi tout son entourage (frères, sœurs, conjoint, enfants, amis, collègues de travail). Dans ce contexte, il y a lieu d’établir que c’est pratiquement 100 % de la population québécoise qui risque un jour ou l’autre d’être confrontée de près ou de loin au défi oncologique. Il s’agit donc d’un enjeu de santé publique important. Il y a lieu de s’interroger sur les représentations sociales du cancer et leurs conséquences sur la santé psychologique de chaque personne touchée par ce défi.
 

Cancer, cet ennemi…

Un jour, le verdict médical tombe : « Vous êtes atteint d’un cancer ». Réaction : « Pourquoi moi? Comment vais-je l’annoncer à mes proches? Que va-t-il m’arriver? Je ne veux pas mourir ». La personne touchée essaie de composer émotivement avec la nouvelle en s’appuyant sur sa compréhension de la maladie, ses croyances, ses ressources émotives et son entourage. Or, d’où proviennent ces conceptions de la maladie?
 
En 2013, même si les avancées médicales peuvent parfois permettre de soigner efficacement cette maladie, il demeure que le mot « cancer » continue d’être un mot effroyable, un mot tabou, un mot synonyme de mort. Dans notre société, le cancer est généralement perçu comme la maladie mortelle du 21e siècle. Il est vu comme un ennemi invisible, celui que l’on doit éradiquer. Il y a, dans ce mot, l’idée d’un mal intérieur, la croyance d’en être responsable, la conception d’un mal incurable, non contrôlé par la médecine.
 
L’utilisation de métaphores guerrières (arsenal thérapeutique, traitements de première et de deuxième lignes, attaquer, tuer les cellules, vaincre le cancer, éliminer, éradiquer, se battre, ne pas se « laisser avoir », gagner la bataille, perdre le combat, etc.) est omniprésente, et ce, tant dans le vocabulaire médical que dans les croyances populaires. De nombreux patients se retrouvent du jour au lendemain dans la position du combattant, du guerrier et parfois en état de crise, cherchant désespérément leur part de responsabilité dans le développement de cette maladie. Plusieurs théories circulent quant à la psychogenèse du cancer. Ne dit-on pas : le cancer est LA maladie du 21e siècle? Une maladie que l’on s’impose? Une maladie induite par des conflits psychiques / émotifs?
 

Une maladie qui a de l’histoire…

Pourtant, la maladie oncologique fait partie de l’humanité depuis la nuit des temps (des métastases osseuses ont été retrouvées sur des squelettes de dinosaures). Elle se développe tant dans le monde végétal qu’animal (homo sapiens et autres espèces). Ces faits sont généralement méconnus dans la population en général. De plus, il est faux de parler du cancer. De fait, il s’agit « des cancers ». Le terme « cancer » fait référence à l’ensemble des maladies oncologiques. Il existe plus d’une centaine de types de cancer, chacun ayant ses particularités, son évolution et sa réceptivité aux traitements. Et, malgré sa complexité, le cancer n’est plus nécessairement mortel.
 

Vivre avec le cancer : un défi

Composer et vivre avec le cancer est un défi émotif. Tout au long du parcours en oncologie (annonce du diagnostic, investigation, traitements, effets secondaires, suivi médical), des émotions variées et intenses sont tout à fait attendues et adaptées. Le défi résulte principalement de la complexité de la maladie et du stress psychologique (CINE) associé. L’acronyme C-I-N-E équivaut à la recette du stress psychologique, soit le manque de Contrôle, l’Imprévisibilité, la Nouveauté et la menace à l’Ego1. Il suffit d’une seule de ces quatre variables pour que le cerveau interprète la situation comme étant une menace potentielle et qu’il enclenche une réponse de stress.

Lorsque l’on compose avec le cancer, la possibilité de stress psychologique est omniprésente. Par exemple, la maladie est parfois vécue comme une perte de Contrôle du corps, l’étiologie exacte du cancer est imprécise. Le succès thérapeutique est Imprévisible, la certitude d’une absence de récidive est impossible. Le parcours oncologique est parsemé de Nouveauté (la maladie, les traitements, les effets secondaires, le monde médical). Vivre avec le cancer confronte à l’idée de la mort et peut engendrer des changements socio-économiques, des modifications relationnelles, atteindre l’estime de soi, l’image corporelle et la sexualité, provoquant une menace à l’Ego. Les quatre variables du CINE sont susceptibles d’être allumées par le défi oncologique.
 
Généralement, l’annonce du diagnostic est perçue comme étant le moment le plus bouleversant. Or, ce n’est pas toujours le cas. Chez une personne souffrant physiquement (perte de poids, douleur, léthargie), cette annonce peut faire suite à une longue période d’investigation médicale et de doute. Paradoxalement, la réception du diagnostic entraîne un soulagement, une perception de contrôle. À l’inverse, chez la personne asymptomatique qui n’a pas envisagé l’éventualité d’une maladie aussi grave, cette même annonce peut engendrer un choc émotif. Il y a incohérence : la personne apprend qu’elle est atteinte d’une maladie potentiellement mortelle alors qu’elle ne se sent pas malade. Il est donc impossible d’affirmer qu’un moment du parcours oncologique soit émotivement plus pénible qu’un autre. De fait, la réponse émotive sera proportionnelle, d’une part, à l’interprétation de la personne en fonction du CINE, et d’autre part, à sa capacité individuelle de composer émotivement avec la situation.

Tout au long du parcours oncologique, le patient et ses proches pourront, à leur façon, développer des outils pour composer avec le stress psychologique associé au fait de vivre avec le cancer. Toutefois, la variable « I », celle de l’incertitude restera allumée. Effectivement, en oncologie, nul ne peut prédire avec certitude l’issue d’un traitement oncologique, ni expliciter avec certitude la cause d’un cancer. Et l’être humain n’aime pas l’inconnu. Il a besoin de réponses, de sens, pour comprendre et retrouver un contrôle. Ainsi, confronté au fait de ne pas connaître la cause de la maladie et à la possibilité de mourir, pouvoir donner une signification au cancer permet de se réapproprier une perception de contrôle et de diminuer à court terme l’intensité du stress psychologique associé au fait de vivre avec le cancer.
 

Avoir le moral : une panacée

Les librairies, les bibliothèques, les organisations communautaires regorgent d’ouvrages venant alimenter la croyance que le moral est le meilleur allié du patient. Ces textes sont écrits parfois par des patients, parfois par des médecins ou par d’autres professionnels de la santé. Or, quelle est la conséquence de cette représentation du cancer sur la santé psychologique des patients, de leurs proches et même de la société en général?

En onco-psychologie, ce mouvement inquiète, interpelle, car au long cours, est-ce concrètement constructif et favorable pour les patients? Cette littérature regorge de témoignages de cas qui se sont « guéris » du cancer, mais où sont les livres qui relatent l’histoire de ces patients, tout aussi nombreux que les précédents, présents dans les bureaux des professionnels de la santé qui se montrent totalement négatifs, déprimés, démotivés et qui, contre toute attente, vont défier les statistiques? Tout les condamnait à une mort certaine : leur pronostic, le diagnostic, leur attitude morale et pourtant ils sont toujours en vie, et souvent à leur plus grand étonnement. Le mythe du combat est plus que médiatisé. Cette métaphore est partout, elle fait les grands titres des téléjournaux, des magazines, de la presse et même d’organisations à but non lucratif « contre » le cancer. Elle est omniprésente. Et pourtant, chacun de mes patients me dira que, s’il accepte les traitements, c’est pour vivre, jamais pour combattre. Mais alors, vivre quand? Et comment?
 

Le cancer : changeons notre regard

Vivre n’est certainement pas réduit à un seul but : combattre pour survivre. Si tel est le cas, alors quoi? Survivre pour gagner? Gagner contre qui ou contre quoi au juste? Gagner contre la maladie? Gagner quelques mois, quelques années, quelques jours de survie? Le cancer n’est pas un combat. Il n’y a pas de vainqueur ou de perdant. Certainement que le patient et son entourage se sentent régulièrement en plein débat, au cœur d’un tumulte entre des forces opposées d’espoir et d’impuissance. Vivre avec le cancer, composer avec l’incertitude quotidiennement et soigner le cancer est un réel défi. Il s’agit de choisir comment l’on peut vivre avec ce défi de santé venu entraver le chemin de la vie.
 
Il est plus que temps de cesser d’imposer la métaphore du combat, du perdant et du vainqueur. Je suggère de laisser le patient choisir la métaphore qui lui convient. Il est grand temps de changer notre regard sur le cancer, de modifier l’objectif du « combat » et de choisir de vivre maintenant.
 
En tant qu’acteurs de la santé (professionnels, représentants des médias, proches aidants, etc.), je crois profondément que nous avons tous une responsabilité à jouer dans la direction que nous voulons donner à la représentation du cancer. Je souhaite de tout cœur que nous dépassions l’impasse du combat pour nous diriger vers la métamorphose. Une métamorphose non pas individuelle du patient face au cancer, mais une métamorphose sociétale dans notre représentation du cancer : changeons le regard sur le cancer, et prônons de vivre maintenant. Le cancer étant une maladie complexe, il est utopique d’espérer éradiquer le stress et les émotions associées. Toutefois, il est possible de composer avec l’incertitude et de cultiver la vie.
 

Note

1   Centre d’étude du stress humain http://www.stresshumain.ca
 



Marika Audet-Lapointe, Ph.D., est psychologue en oncologie, conférencière ainsi que chargée de cours à l’Université de Montréal. Elle détient une expertise en onco-psychologie, stress / anxiété et psychologie de la santé. Ayant un intérêt marqué pour les neurosciences en psychologie affective ainsi que pour les effets des traitements oncologiques sur la cognition, Marika Audet-Lapointe se spécialise actuellement en neuropsychologie à l’Institut de neurologie de Montréal. Elle œuvre au sein de la Clinique PSYmedicis, spécialisée en onco-psychologie et psychologie de la santé. (www.psymedicis.com)


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